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Journalisme et hétérodoxie au Refuge hollandais: le cas de l''Histoire critique de la République des Lettres' (1712–1718) par Sébastien Drouin

Journalisme et hétérodoxie au Refuge hollandais: le cas de l''Histoire critique de la République des Lettres' (1712–1718). Par Sébastien Drouin. ( Vie des Huguenots, 94.) Paris: Honoré Champion, 2023. 348 pp., ill.

Cet ouvrage se situe au carrefour de l'histoire de la presse et de l'histoire de l'érudition. À ce carrefour, nous rencontrons dans les années 1710 le pasteur Samuel Masson, rédacteur à Dordrecht de l'Histoire critique de la République des lettres, ses alliés qui comptent le savant Pierre Des Maizeaux, installé à Londres, et ses nombreux ennemis qui incluent Thémiseul de Saint-Hyacinthe et les collaborateurs du Journal littéraire de La Haye. Deux journaux, deux réseaux d'hommes de lettres et un conflit aux multiples facettes: le mérite revient à Sébastien Drouin d'en étudier les ramifications religieuses, intellectuelles, littéraires et économiques en résistant à la tentation de catégoriser trop étroitement les acteurs et de réduire les polémiques à leur dimension idéologique. Au-delà de l'étude de cas, l'ouvrage offre un riche tableau du Refuge et de son activité éditoriale, corrigeant le lieu commun selon lequel les libres penseurs et les théologiens hétérodoxes [End Page 334] s'épanouiraient en Hollande. En effet, la Hollande protestante du début du dix-huitième siècle a son orthodoxie: le coccéianisme qui, par la typologie biblique, applique à Jésus-Christ les propos de l'Ancien Testament. Cette orthodoxie détermine les prises de position des synodes qui condamnent le pasteur Pierre de Joncourt dont les polémiques Entretiens paraissent en 1707. C'est au nom de l'orthodoxie coccéienne que Masson est à son tour censuré par le synode de Bréda en 1713, après la publication d'une dissertation sur le Psaume CX dans son Histoire critique. Masson brandit les armes de la philologie et de l'érudition historique pour discréditer la tradition exégétique qui regarde ce psaume comme une pure prophétie de l'avènement du Christ, accordant une priorité au sens littéral par rapport aux sens allégorique et prophétique. De son côté, le Journal littéraire soutient la cabale contre Masson en accueillant les textes des coccéiens. Drouin bifurque alors vers l'équipe du Journal littéraire et, en particulier, vers cet immense succès de librairie qu'est le Chef-d'œuvre d'un inconnu (1714), satire des milieux érudits portée par Saint-Hyacinthe. Il en propose une lecture originale dans le prolongement de la querelle du Psaume CX et dans le contexte plus large de la querelle d'Homère où Masson s'engage du côté des Anciens. Moqué dans la dédicace du Chef-d'œuvre, ce dernier incarne dès lors la figure de l'érudit dans tout ce qu'elle a de ridicule. Bien malgré lui, son périodique forme une des bases sur lesquelles se construit la critique du charlatanisme savant qui redéfinit au dix-huitième siècle le rapport à la philologie et à l'érudition, mais aussi à l'exégèse biblique et au journalisme littéraire. Drouin parvient à montrer, de façon très convaincante, les liens qui unissent dans le discours critique les figures du penseur hétérodoxe, du libertin et du faux savant. Les citations de sources manuscrites ou imprimées sont généreuses. Les annexes qui occupent un tiers de l'ouvrage comprennent les lettres inédites des frères Samuel et Jean Masson à Des Maizeaux, relatives à leurs activités journalistiques, éclairant notamment la fonction de correspondant étranger.

Timothée Léchot
Université de Fribourg, Fribourg, Suisse

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