Regards néo-matérialistes sur la didactique des langues

Ce numéro spécial émane des intrications productives de nombreux éléments, y compris d'une plus grande présence d'œuvres savantes ancrées dans des pensées néo-matérialistes en linguistique appliquée et en didactique des langues. À titre d'exemple, en 2019, la plénière francophone du congrès de l'Association canadienne de linguistique appliquée était intitulée Penser autrement la linguistique appliquée : lignes de fuite sociomatérielles, et, plus récemment, le dix-neuvième congrès mondial de l'Association internationale de linguistique appliquée proposait un symposium intitulé Ways of "Becoming": Exploring New Materialist Perspectives in Educational Research.

La présence accrue des pensées néo-matérialistes dans les colloques universitaires s'inscrit dans la foulée des publications récentes, de chercheurs renommés, qui attestent de l'utilité des perspectives néo-matérialistes pour orienter la recherche en linguistique appliquée et en didactique des langues (Pennycook, 2018). À titre d'exemple, Canagarajah (2018) a reconsidéré la compétence linguistique en la mettant en réseau et en mettant en exergue la non-linéarité de l'apprentissage langagier ainsi que l'agentivité et le pouvoir de représentation des objets (p. 278).

Dans le contexte canadien, Toohey (2018) illustre comment les pensées néo-matérialistes permettent de concevoir autrement les identités des apprenants d'anglais, l'apprentissage d'une langue seconde et les interactions en salle de classe. Selon elle, bien que ces théories ne donnent pas d'explications ou d'idées infaillibles sur la façon dont l'école et l'apprentissage des langues peuvent être améliorés (p. 174), elles tiennent compte de la complexité des relations sociomatérielles et permettent ainsi d'expérimenter pour aboutir à plus d'équité en didactique des langues. Dans une publication subséquente, elle élabore précise comment les ontoépistémologies néo-matérialistes nous permettraient d'étendre nos connaissances sur les apprenants et les processus d'enseignement/apprentissage d'une langue additionnelle (Toohey, 2019, p. 938).

En tant que corédacteurs de ce numéro spécial, nous nous sommes aussi appuyés sur les perspectives néo-matérialistes pour envisager la didactique des langues autrement et enseigner les langues différemment. Monica fait appel à cette théorisation en relation avec [End Page 302] la pédagogie du langage, notamment en mettant l'accent sur les effets matériels des textes d'art utilisés dans des programmes de langues destinés aux immigrants adultes (Waterhouse, 2021; Waterhouse et Chaudhuri, 2020). Dans les recherches de Francis, les perspectives néo-matérialistes se combinent au concept d'agencement de Deleuze et Guattari pour examiner ce que font la technologie (ordinateurs, logiciels, applis, etc.) et le langage lorsqu'ils entrent en relation avec des enseignants de langues en formation qui découvrent l'apprentissage des langues assisté par ordinateur (ALAO) (Bangou, 2020; Bangou et Vasilopoulos, 2018) et pour expérimenter des façons novatrices de faire de la recherche en linguistique appliquée (Bangou, 2019).

Les perspectives néo-matérialistes se sont également avérées théoriquement fructueuses pour examiner les littératies numériques dans des contextes d'apprentissage de langues. Par exemple, Dagenais, Toohey, Bennett et Singh (2017) et Dagenais, Brisson, André et Forte (2020) ont examiné le potentiel de l'outil numérique ScribJab en tenant compte de ses effets sur la mise en œuvre des pédagogies multilingues et multimodales. Puis, elles ont décrit comment cet outil numérique avait transformé les écosystèmes des salles de classe. Plus récemment, Toohey, Smythe, Dagenais et Forte (2020) ont publié un recueil qui regroupe des concepts néo-matérialistes pour stimuler la réflexion et l'innovation en didactique des langues et en littératie.

Il est important de noter qu'en l'absence de recherche néo-matérialiste en linguistique appliquée, les chercheurs en didactique des langues qui s'intéressaient aux perspectives néo-matérialistes s'appuyaient alors sur les travaux scientifiques novateurs en littératie menés aux États-Unis (Kuby et Gutshall Rucker, 2016; Leander et Rowe, 2006) et sur les travaux en éducation de la petite enfance menés en Suède (Lenz Taguchi, 2011; Olsson, 2012). Cet héritage robuste de la pensée néo-matérialiste en littératie influence encore les chercheurs en linguistique appliquée, comme Toohey et al. (2020) et Dagenais et al. (2020) susmentionnés.

La chercheuse canadienne Diana Masny, une pionnière dans le domaine, s'est appuyée sur la TLM (théorie des littératies multiples; Masny, 2019) pour redéfinir les littératies multilingues des élèves inscrits au sein des écoles de langue française en contexte minoritaire ontarien. Même si Masny n'a jamais explicitement associé la TLM aux théories matérialistes, il n'en demeure pas moins qu'elle a été influencée par les concepts matérialistes tirés des travaux de Deleuze avec ou sans Guattari, qui ont servi d'assise principale à une grande part des travaux scientifiques néo-matérialistes en didactique des langues. La TLM a contribué à l'évolution de la réflexion sur les littératies en tant que produits vers les littératies en tant que processus. Plutôt que de considérer les pratiques humaines comme le reflet d'une identité socioculturelle existante, la TLM redéfinit les événements d'ordre langagier (comme la lecture) comme des intensités affectives humaines et non-humaines qui produisent des devenirs transformateurs.

Pour les deux corédacteurs invités, Diana Masny a été une précieuse mentore, une collègue appréciée et un véritable poids lourd intellectuel (au sens le plus positif et productif possible). Son décès en août 2020 a laissé un grand vide, tout au moins initialement ; nous voyons maintenant comment son œuvre inspire encore et contribue à la réflexion, aux théories et aux pratiques en devenir. En reconnaissance de ces joyeux affects et futures expérimentations interdisciplinaires, nous lui dédions affectueusement ce numéro spécial.

Le pluriel est politique

La pluralisation délibérée du titre de ce numéro spécial − regards néo-matérialistes − fait valoir les origines hétérogènes de diverses théories et façons de connaitre et d'être qui [End Page 303] prêtent une attention minutieuse au fonctionnement du monde matériel dans l'évolution des relations humaines et non-humaines. Plus encore, le pluriel est politique.

Les chercheurs autochtones contribuent depuis longtemps aux pensées matérialistes; cependant, comme l'avancent Rosiek, Snyder et Pratt (2020), les pratiques scientifiques hégémoniques et eurocentriques font en sorte que la tendance néo-matérialiste actuelle s'appuie fortement sur des concepts élaborés par des chercheurs occidentaux comme Barad (2007), Deleuze et Guattari (1980), Ingold (2007), Latour (2005) et Braidotti (2013), sans égard pour les œuvres savantes des penseurs autochtones. Rosiek et coll. appellent donc à un engagement anticolonial respectueux (p. 331) avec les chercheurs autochtones qui s'inscrivent dans les courants néo-matérialistes, un appel auquel nous répondons explicitement par l'entremise des contributions de ce numéro spécial (voir les articles de Forte et de Honeyford et Yaman Ntelioglou). Dans l'optique de décoloniser plus largement les pratiques universitaires, Kubota (2020, p. 712) met au défi les chercheurs de valider de nouvelles théories, de revoir leurs pratiques de citation et de développer un sens de responsabilité et de réflexivité critique, tout en reconnaissant les complexités et les tensions générées par de telles pratiques. La chercheuse unangax̂ Eve Tuck résume de façon pertinente ce que ces tensions peuvent signifier dans son article de 2010, Breaking up with Deleuze :

Comment puis-je attribuer à Deleuze les notions d'interconnectivité du rhizome, une notion au cœur même de ses philosophies, alors que pendant des centaines et des milliers d'années, l'interconnectivité a été la pierre angulaire de nombreux cadres autochtones, autant tribaux que diasporiques? Comment puis-je, comme personne seule, tenir compte de l'interface de ces concepts sans tomber dans les pièges mis en place par la longue histoire des colonisateurs et du monde de la recherche en matière d'exploitation, d'idéalisation et d'extraction du savoir autochtone, et par la tradition américaine de « jouer aux Indiens »… ? Il s'agit d'une question de fausses inventions et de rendre à César ce qui appartient à César, et même encore une question de décrire et de considérer des idées complexes et controversées.

En tant que corédacteurs, nous faisons écho aux conclusions de Tuck en soulignant qu'il est éthiquement indispensable pour les chercheurs de se pencher sur les questions délicates qui découlent des efforts de décolonisation du savoir néo-matérialiste et de bien comprendre comment nous respectons, associons et appliquons des concepts issus de différents courants matérialistes.

Étant donné que les œuvres savantes néo-matérialistes sont de plus en plus visibles dans les domaines de la linguistique appliquée et de la didactique des langues, il nous semble opportun de présenter un numéro spécial sur le sujet. Ce volume de La Revue canadienne des langues vivantes (RCLV) mobilise la recherche pour permettre aux lecteurs de réfléchir à la capacité qu'ont les pensées néo-matérialistes de nous informer, de transformer divers aspects de l'apprentissage et de l'enseignement des langues et de repenser les méthodologies, les épistémologies et les ontologies dominantes dans la recherche en linguistique appliquée.

Pourquoi les perspectives néo-matérialistes importent-elles?

L'intérêt accru pour les pensées néo-matérialistes en linguistique appliquée et en didactique des langues s'inscrit dans une mouvance plus large en sciences sociales et en éducation qui convient de la nécessité de créer des ressources pédagogiques, [End Page 304] méthodologiques et conceptuelles novatrices capables de répondre aux besoins éducationnels, environnementaux, éthiques et sociaux actuels d'un monde branché, inéquitable, indéfini, incertain, flou, imprévisible, mobile et en constante évolution (Bangou, 2020; Toohey, 2019). La recherche néo-matérialiste peut nous aider à re-théoriser le rôle, la fonction et l'impact des éléments humains, matériels et expressifs en didactique des langues et à mettre en oeuvre de nouvelles méthodologies propices à l'étude des transformations créatives dans l'apprentissage et l'enseignement des langues (Bangou, Waterhouse et Fleming, 2020).

Dans ce volume, les perspectives néo-matérialistes font référence aux intrications d'œuvres savantes contemporaines incluant le post-humanisme (Braidotti, 2013; Pennycook, 2018); le néo-matérialisme féministe (Barad, 2007); les perspectives deleuzo-guattariennes (Bangou et al., 2020; Deleuze et Guattari, 1980); le sociomatérialisme (Toohey, 2018; Toohey et al., 2020); les ontoépistémologies autochtones (TallBear, 2015; Tuck et Yang, 2019); le nouvel empirisme (Jackson et Mazzei, 2012; St. Pierre, Jackson et Mazzei, 2016); et la recherche post-qualitative (Lather et St. Pierre, 2013; St. Pierre, 2018, 2021). Bien que situées dans différentes disciplines (p. ex., les sciences naturelles, les sciences quantiques, les sciences sociales, les mathématiques et les sciences humaines), les études inscrites dans la mouvance néo-matérialiste partagent à des degrés divers les éléments suivants.

Premièrement, les perspectives néo-matérialistes nous invitent à penser la réalité autrement, en nous éloignant des points de vue constructivistes et des hiérarchies et binarités cartésiennes et en remettant en question la notion d'identité individuelle et la primauté de la cognition humaine sur les entités matérielles (Coole et Frost, 2010; Toohey, 2019). Les chercheurs qui s'inscrivent dans le néo-matérialisme reconnaissent que nous vivons dans un monde matériel puissant et émergeant qui se transforme constamment de façon imprévisible, en dépit des interventions et des représentations humaines. L'espèce humaine est ainsi relocalisée dans un environnement naturel dont les forces matérielles elles-mêmes manifestent certaines capacités d'agir et dans lequel le domaine des effets imprévus et non anticipés est passablement élargi (Coole et Frost, 2010, p. 10). À titre d'exemple, nous pouvons penser à l'incertitude et aux nouvelles pensées et pratiques qui ont émané de la pandémie de COVID-19 et à la façon dont la capacité du virus de perturber nos vies a été intensifiée et atténuée par la capacité d'agir de nombreux éléments, comme l'enseignement en ligne, une mutation, un masque, un vaccin, et… et… En bref, les chercheurs qui s'inscrivent dans la mouvance néo-matérialiste dissolvent les binarités telles que l'esprit et la matière, la nature et la culture et s'ouvrent à la matérialité créative, puissante et en constante évolution de nos vies.

Deuxièmement, les perspectives néo-matérialistes sont ancrées dans des ontologies relationnelles qui remettent en question l'idée a) que des qualités fixes et essentielles peuvent être attribuées à des entités humaines et matérielles ; b) d'un monde séparé et identifiable délimité par des lois fondamentales et invariables (Coole & Frost, 2010, p. 8); et c) d'une distinction ontologique entre les connaissances, le connu et la personne qui connait (Barad, 2003). Les perspectives néo-matérialistes problématisent ainsi les points de vue représentationnalistes de la réalité. À cet égard, Barad (2003, p. 807) avance que :

la foi asymétrique dans notre accès à des représentations des choses est un fait contingent de l'histoire et non une nécessité logique; c'est-à-dire, il s'agit simplement d'une habitude [End Page 305] cartésienne de l'esprit. Il faut une bonne dose de scepticisme à l'égard du doute cartésien pour être en mesure de voir une solution de rechange.

De plus, les théorisations néo-matérialistes reconnaissent que les êtres humains et les entités non-humaines n'ont pas d'identités séparables, puisqu'ils sont toujours en relation changeante les uns avec les autres (Toohey, 2019, p. 940). Ici, nous pouvons penser à la façon dont le vaccin contre la COVID-19 est devenu une lumière au bout du tunnel, une menace et une source de confusion au sein de relations en constante évolution entre les déconfinements accélérés, la thrombose, les médias légitimes et non légitimes, et… et… Si nous considérons que les éléments humains, non-humains et expressifs du monde, y compris leur capacité d'être et d'agir, sont constamment en devenir au sein d'intrications changeantes, l'étude de ce qui est ne peut alors se désengager de l'étude de ce qui pourrait devenir (May, 2005). La connaissance devient alors une entité temporaire, interconnectée et circonstancielle qui n'est pas à propos de choses, mais qui devient constamment avec des choses.

Troisièmement, les perspectives néo-matérialistes appellent à porter une attention renouvelée à l'éthique et aux forces en jeu dans la réalisation d'un projet de recherche (Bangou, 2019; Barad, 2007; Coole et Frost, 2010; Jackson et Mazzei, 2018; Toohey, 2019). La recherche devient un enchevêtrement de relations entre des entités humaines (par exemple, le chercheur, les participants, les examinateurs, etc.) et non-humaines (par exemple, des données, des méthodologies, l'éthique, des limites de mots, etc.) qui produisent et sont produites par la recherche. Ainsi, la recherche néo-matérialiste entretient-elle des liens étroits avec la création de concepts, la réflexion avec la théorie (thinking with theory), la cartographie et l'expérimentation dans le but de déstabiliser, d'innover plutôt que de rapporter, de représenter et de contrôler (Vannini, 2015). Autrement dit, la recherche ancrée dans les néo-matérialismes n'a pas pour ambition de représenter le monde, mais vise plutôt à expérimenter la vitalité de la matière et à contribuer à un monde en devenir. Pour ce faire, les études néo-matérialistes tendent à décentrer le chercheur en tant que sujet et l'invitent à s'engager dans des flux de connexions issues de la recherche en action et permettre ainsi à des éléments imprévus de contribuer à la production des connaissances (Fox et Alldred, 2015).

Dans cette section, nous avons souligné certains éléments qui, selon nous, sont particulièrement actifs dans la recherche néo-matérialiste. En raison de notre intérêt particulier pour la linguistique appliquée et la didactique des langues, la prochaine section sera consacrée à un autre de ces éléments actifs : le langage.

À propos du langage

Les perspectives néo-matérialistes reconnaissent pour la plupart que le langage, en tant qu'élément matériel, s'est vu octroyer trop de pouvoir pour rendre compte de la réalité (Barad, 2003). Dans cette optique, les théorisations néo-matérialistes nous invitent à relocaliser le langage dans la matérialité d'où il émerge (de Freitas et Curinga, 2015). Pour mieux comprendre ces points de vue, nous allons maintenant nous tourner brièvement vers la philosophie de Deleuze et Guattari (1980) compte tenu de son influence significative sur la pensée néo-matérialiste actuelle liée au langage (de Freitas et Curinga, 2015).

Dans le quatrième plateau de leur livre Mille plateaux, Deleuze et Guattari (1987) revisitent les points de vue sur le langage qui privilégient les universaux et les invariants structurels et conceptualisent la langue comme un système abstrait, homogène [End Page 306] et indépendant dont les fonctions primaires sont de représenter, informer et communiquer. Plutôt, Deleuze et Guattari relocalisent le langage dans un monde sociomatériel plus vaste et repensent la langue comme une entité mouvante et performative dont les capacités émergentes de structuration et d'émancipation sont localisées dans des agencements de flux d'expressions, d'éléments humains et matériels (c.-à-d., contenu) et de forces de territorialisation (c.-à-d. stabilisation, constantes, pouvoirs), déterritorialisation (c.-à-d. déstabilisation, variations, résistance) et reterritorialisation (c.-à-d. restabilisation, devenirs).

Ce faisant, Deleuze et Guattari (1980, p. 118) ont mis au premier plan l'immanence et la variabilité de la langue :

Alors, ne faut-il pas convenir que tout système est en variation, et se définit, non par ses constantes et son homogénéité, mais au contraire par une variabilité qui a pour caractères d'être immanente, continue, et réglée sur un mode très particulier (règles variables ou facultatives)?

Deleuze et Guattari vont aussi au-delà du mot et reterritorialisent la langue dans le cadre de chaînes sémiotiques plus vastes connectées à divers moyens de codage : « des chaînons sémiotiques de toute nature y sont connectés à des modes d'encodage très divers, chaînons biologiques, politiques, économiques, etc., mettant en jeu non seulement des régimes de signes différents, mais aussi des statuts d'états de choses » (p. 13). De plus, ils conceptualisent différemment les interrelations entre le contenu et l'expression en mettant l'accent sur leur indépendance et leur hétérogénéité :

Le contenu a sa forme non moins que l'expression, on ne peut jamais assigner à la forme d'expression la simple fonction de représenter, de décrire ou de constater un contenu correspondant : il n'y a pas correspondance ni conformité. Les deux formalisations ne sont pas de même nature, et sont indépendantes, hétérogènes.

(p. 109)

Ainsi, l'expression et le contenu, ou les langages et les corps, se combinent en agencements desquels émergent leurs capacités de se transformer l'un et l'autre : « les expressions ou les exprimés vont s'insérer dans les contenus, intervenir dans les contenus, non pas pour les représenter, mais pour les anticiper, les rétrograder, les ralentir ou les précipiter, les détacher ou les réunir, les découper autrement » (p. 110). Voilà pourquoi, pour Deleuze et Guattari, « l'erreur serait donc de croire que le contenu détermine l'expression, par action causale, même si l'on accordait à l'expression le pouvoir non seulement de 'refléter' le contenu, mais de réagir activement sur lui. » (p. 113). En d'autres mots, Deleuze et Guattari nous invitent à dépasser les fonctions représentationnelles et d'encodage du langage et de considérer la façon dont le langage travaille avec/dans la matière.

Les lignes ouvertes par de telles perspectives ont permis à de nombreux chercheurs d'explorer de nouveaux territoires, utilités et potentialités associés au langage. Par exemple, de Freitas et Curinga (2015) proposent de considérer le langage comme matière et d'expérimenter les façons donc cette reconceptualisation du langage pourrait transformer la façon dont nous étudions l'identité. Pour considérer la recherche différemment et pour s'éloigner de paradigmes de recherche familiers, MacLure (2011, p. 1000) nous invite à trouver un langage qui entrave ses propres tendances vers l'homogénéité, la catégorisation et l'équilibre de sorte qu'il commence à « vibrer », en émanant la variation et la singularité. Elle soulignera plus tard la situation à double volets, matériel-linguistique, du sens, qui résonne dans [End Page 307] le corps comme dans le cerveau (MacLure, 2013, p. 661) et appellera à explorer le langage non-représentationnel, non-interprétatif, asignifiant, asubjectif, paradoxal et tissé dans la matière (p. 660).

Dans les domaines de la linguistique appliquée et de la didactique des langues, Pennycook (2018, p. 51) met de l'avant les notions de répertoire spatial et de langage distribué dans le but de perturber les conceptualisations communes du langage en tant que système interne et compétence individuelle. Il nous invite donc à nous ouvrir au fait que l'apprentissage d'une langue se ferait dans et autour d'une gamme élargie d'agencements sémiotiques qui comprend le toucher, l'odorat, le goût, les choses et les places (p. 131). L'objectif, pour Pennycook, n'est pas de disposer des langues et des êtres humains, mais plutôt de les réorganiser, de les mettre où ils doivent être, pas toujours au centre, mais dans la périphérie, dans la trame d'une compréhension plus vaste de la sémiotique et des politiques (p. 136).

En utilisant des concepts néo-matérialistes Canagarajah (2020) reconsidère les points de vue marxistes sur le langage et les conditions matérielles pour mettre en exergue la fonction du langage matérialisé au sein d'agencements de pouvoir et de résistance. Ce faisant, il examine des formes non conventionnelles d'activisme qui s'inspirent de diverses ressources matérielles et symboliques et d'identités intersectionnelles (p. 10). À son tour, Fleming (2020) se fonde sur la critique, par Deleuze et Guattari, de la théorie linguistique moderne pour problématiser le concept de locuteur natif. Quant à Toohey (2019), elle illustre la façon dont sa recherche a été enrichie en partie par les points de vue néo-matérialistes sur le langage. Elle fait valoir que les langues et les apprenants devraient être envisagés comme des entités agencés :

Envisager les langues et les apprenants comme des phénomènes agencés, plutôt que comme des entités distinctes et individuelles, à ce jour, n'a pas marqué la majorité des écrits sur les langues et la littératie (sauf dans le cas d'exceptions déjà citées). Cela n'est pas particulièrement surprenant, compte tenu de l'intérêt particulier que le domaine porte à la découverte d'universaux : l'enseignement de pratiques qui fonctionnent (ou pas), l'ordre idéal dans lequel enseigner les éléments des structures grammaticales d'une langue, les traits de personnalité des apprenants qui réussissent et de ceux qui échouent, les meilleures relations sociales pour l'apprentissage des langues, etc. Un point de vue néo-matérialiste soutiendrait que la découverte d'universaux ne peut être effectuée qu'en réduisant les phénomènes à des choses statiques, mortes et déterminables.

(p. 945)

Encore une fois, la recherche néo-matérialiste constitue un terreau fertile pour réfléchir, parler et enseigner les langues, et faire de la recherche de façon novatrice et utile. Fort de ce constat, la prochaine section présente les articles qui composent ce numéro spécial.

Concepts et connexions : survol des articles

Les lecteurs peuvent « se brancher » au contenu de ce numéro spécial de nombreuses façons. Dans ce survol des sept articles qui composent ce numéro, nous en proposons deux. Premièrement, nous retraçons des connexions associées aux sujets de trois groupes d'articles qui traitent de productions vidéo, écrite et orale, de personnes plurilingues; de la technologie dans l'apprentissage et l'enseignement des langues; et d'études sur les enseignants de langues et de littératie. En même temps, nous traçons des connexions conceptuelles pour attirer l'attention sur la façon dont les théories néo-matérialistes peuvent être utilisées dans la recherche sur les langues et la littératie. Nonobstant les critiques formulées dans cette [End Page 308] introduction au sujet de la sous-citation des ontoépistémologies autochtones dans la recherche néo-matérialiste, notons que les concepts d'agencement, de rhizome, d'affect (Deleuze et Guattari, 1980), d'enchevêtrement/intrication, d'intra-action (Barad, 2007) et de devenir (Deleuze et Guattari, 1980; Barad, 2007) ont probablement été les plus utilisés par les chercheurs en langue seconde pour exprimer la matérialité et expliquer le potentiel générateur de la didactique des langues.

Le premier groupe d'articles se concentre sur les adultes, les adolescents et les enfants plurilingues dans divers contextes éducatifs. Ces analyses examinent les processus créatifs et sensoriels qui émergent des rencontres entre les corps humains, la langue et les objets matériels. Conformément à notre discussion plus haut sur la décentralisation de la langue en la situant dans une relation non représentationnelle avec le monde matériel, l'analyse minutieuse de Siffrin de l'extrait d'un jeu théâtral qui impliquait des jeunes multilingues et des enseignants de langues en formation dans le cadre d'un programme artistique parascolaire montre comment le simple passage d'un chat incite à interrompre le discours. La langue commence littéralement à répéter et à bégayer au sens deleuzien. Une telle itération n'est pas stagnante, mais contribue plutôt à l'apparition d'une créativité linguistique dynamique dans les énoncés des participants, où le sens et le non-sens passent de façon imprévue à travers des corps matériels : un chat, les participants, une robe aubergine. Siffrin offre une compréhension relationnelle de la créativité linguistique qui confirme que l'apprentissage peut se faire de diverses façons non conventionnelles pour les jeunes multilingues.

Dans le même esprit, l'article de Forte bouleverse nos attentes relatives à l'usage des langues par des enfants bilingues à travers une (re)théorisation matérielle de l'identité bilingue en tant qu'identités qui s'agencent, cette fois dans le contexte de la rédaction numérique d'un texte. C'est ainsi qu'au lieu de placer l'élève au centre de l'analyse, les narrations mettent plutôt l'accent sur la matérialité des espaces où se déroule la rédaction : de la structure physique de l'école dans les salles de classe et à l'extérieur de celles-ci, jusqu'aux appareils technologiques comme les iPads, en passant par les doigts des enfants et des balles antistress. Le concept d'agencement est essentiel pour comprendre le fonctionnement complexe et « affectif » des éléments matériels et discursifs – choses, corps, expressions – travaillant de concert pour produire l'histoire de Monsieur Lemon et de Monsieur Bear.

La répétition et l'agencement sont de retour comme outils conceptuels clés dans la contribution de Budach et coll. pour examiner ce que produisent les intra-actions humains-machines lorsque trois étudiants s'engagent dans l'animation numérique image par image. Les trois vidéos – mettant respectivement en vedette un signet, un iPod et une botte de carottes – sont accessibles par hyperlien dans l'article. Cependant, comme c'est typiquement le cas avec les perspectives néo-matérialistes, les produits finaux sont moins importants que la façon dont les éléments agencés ont fonctionné en tant que processus. Perturbant les conceptions de la communication centrées sur l'humain, les étudiants ont documenté les conversations prolongées et intenses avec les objets dans le cadre du projet. Ils ont décrit la façon dont les cycles répétés de photographies et de mouvements d'objets sont devenus une forme areprésentationnelle de communication qui a non seulement mis au premier plan les tensions liées à leurs appartenances linguistiques et culturelles complexes, mais a aussi engendré des moments de libération.

Jusqu'ici les contributions ont illustré comment les technologies numériques participent différemment à la recherche néo-matérialiste étant donné qu'au sein des agencements, elles contribuent à « l'action et à la cognition distribuée » (Pennycook, 2018). Le deuxième groupe d'articles continue sur le thème de la technologie en tant que force active dotée [End Page 309] de capacités relationnelles d'intervention dans le contexte de l'ALAO, une force envisagée comme un affect en termes néo-matérialistes. À cet égard, l'article de Sherman exemplifie comment on pourrait décentrer l'humain et rendre compte du rôle joué par la technologie dans la production de l'enseignement des langues. Il se fonde sur le concept du rhizome de Deleuze et Guattari pour « re-visionner » les données d'une étude antérieure. Les rhizomes sont caractérisés par leur capacité d'établir de nouvelles connexions et de mobiliser différentes façons de penser ; la rhizoanalyse déloge le traçage conventionnel du familier.

Dans l'étude de Sherman consacrée aux technologies utilisées dans les classes d'anglais d'un collège professionnel, cette approche rhizomatique produit deux vignettes composites. Leur juxtaposition analytique illustre comment la pensée néo-matérialiste pourrait nous permettre de comprendre ce qui se passe entre les enseignants, les élèves et les technologies dans les classes de langues et de répondre de façon productive et innovante aux problèmes présentés par les technologies dans les contextes d'enseignement de langues. Adoptant également une approche rhizoanalytique, les connexions établies par Vasilopoulos entre les détails des agencements d'écriture numérique d'étudiants, créent une carte de pratiques de rédaction d'EAP fondées sur des sources qui se montre aussi choquante que convaincante. L'analyse novatrice offre un aperçu des circonstances sous-jacentes et imprévues qui font en sorte que la rédaction académique dans une L2 résulte des relations entre des forces humaines, non-humaines expressives, matérielles et affectives lorsque les étudiants utilisent des ordinateurs pour trouver, lire et composer des textes.

De plus, Vasilopoulos met l'accent sur la façon dont l'ontoépistémologie relationnelle qui sous-tend les perspectives néo-matérialistes transforme la façon dont la recherche sur les langues secondes elle-même est conçue et menée. Ce problème méthodologique est aussi au premier plan du troisième groupe d'articles qui déploie la lecture diffractive baradienne dans les études scientifiques en langue et en littératie qui incluent des enseignants. L'étude de Ravindran et de Ilieva consacrée à des stagiaires internationaux au sein d'un programme de formation d'enseignants d'anglais interprète la théorie avec et contre diverses sources de données pour explorer les expériences de ces enseignants en formation à travers le temps, l'espace, les discours, les pratiques et les événements. Ce qui émerge est la notion de « pédagogies dans l'action » pour décrire une forme d'action actualisée dans les devenirs des enseignants, un concept néo-matérialiste qui s'oppose à l'identification fixe, prédéfinie de ce que les enseignants peuvent être et s'intéresse plutôt à ce qu'ils pourraient continuellement devenir au travers de rencontres avec d'autres personnes, choses, langues, etc. La forme active et progressiveing est intentionnelle et exprime rhétoriquement une résistance dynamique engendrée par le devenir.

Enfin, en prenant comme point de départ des réponses d'enseignants au récent renouvellement du curriculum d'anglais au Manitoba, l'analyse diffractive de Honeyford et Yaman Ntelioglou les amène à proposer un cadre conceptuel pour « positionner l'évaluation » dans une ontologie relationnelle inspirée des nouvelles conceptions néo-matérialistes et de l'agentivité telle qu'elle est envisagée par les autochtones depuis très longtemps c'est-à-dire une agentivité distribuée et située dans des agencements sociaux, matériels et discursifs. Nous retrouvons l'usage théorique deing lorsqu'elles insistent sur la nature émergente et ouverte de l'acte de positionnement des évaluations (emplacing evaluation). Tout en se basant sur des recherches liées à l'enseignement de la langue anglaise en tant que langue première, elles s'inspirent aussi de la recherche sociomatérielle clé de Canagarajah dans le domaine de la linguistique appliquée, et il est clair que positionner l'évaluation (emplacing evaluation) s'applique directement à l'enseignement des langues secondes en permettant, [End Page 310] par exemple, de décoloniser les évaluations à fort enjeux et d'imaginer des pratiques d'évaluation plus équitables dans des contextes de pédagogie plurilingue partout au Canada.

Conclusion

Les articles regroupés dans ce numéro spécial traitent de questions urgentes dans le domaine de la didactique des langues pour nous permettre de réfléchir autrement à l'utilisation des langues par des personnes plurilingues; à l'utilisation de technologies dans l'apprentissage des langues; à l'évaluation du langage; et à la formation des enseignants de langues. Ils proposent un large éventail de concepts néo-matérialistes, d'écrits théoriques et de méthodologies non conventionnelles et fracturent ainsi certains silos disciplinaires. Collectivement, ils exemplifient un type de savoir relationnel qui découle non pas d'un, mais de plusieurs éléments dans l'interfécondation d'idées, de discours et de corps. Par conséquent, les perspectives néo-matérialistes ne s'opposent pas aux paradigmes de recherche prédominants, mais cherchent plutôt à multiplier d'autres voies de réflexion pour prendre au sérieux le potentiel expérimental des agencements et pour contribuer à la vitalité de la linguistique appliquée, du langage et de la recherche en littératies.

Francis Bangou
Faculté d'éducation, Université d'Ottawa, Ottawa, Ontario, Canada
Monica Waterhouse
Département de langues, linguistique et traduction, Université Laval, Québec, Québec, Canada
Francis Bangou

Francis Bangou est professeur agrégé à la Faculté d'éducation de l'Université d'Ottawa et se spécialise dans le domaine de la didactique des langues secondes. Ses recherches se situent dans le poststructuralisme et portent sur l'adaptation des enseignants et des apprenants de langues secondes à des environnements d'enseignement et d'apprentissage non familiers, la formation d'enseignants en langue, l'intégration des technologies de l'information et de la communication dans l'enseignement des langues secondes et l'enseignement du français comme langue de scolarisation dans des contextes de minorisation linguistique. Il est aussi le directeur du groupe de recherche Éducation et Langues (EducLang).

Monica Waterhouse

Monica Waterhouse est professeure agrégée au Département de langues, linguistique et traduction de l'Université Laval où elle enseigne dans le domaine de la didactique de l'anglais langue seconde et dirige le programme de formation en enseignement de l'anglais langue seconde tout en étant préoccupée par la question : est-il possible d'avoir une pratique anticoloniale de l'enseignement de l'anglais langue seconde? Ses recherches récentes font appel au concept deleuzien de l'affect pour étudier les événements en salle de classe dans les programmes de formation en langues pour nouveaux arrivants et pour explorer le potentiel des pédagogies fondées sur les arts dans ces contextes.

Toute correspondance doit être adressée à Francis Bangou, Faculté d'éducation, Université d'Ottawa, 145 Jean-Jacques Lussier, Ottawa, ON K1N 6N5, Canada; adresse électronique : fbangou@uottawa.ca.

Note

1. D'autres spécialistes peuvent conceptualiser les perspectives néo-matérialistes différemment; voir Coole et Frost (2010) pour plus de discussion sur le sujet.

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